Chefs et blogueuses : la bataille des recettes

La recette du foie gras poêlé aux poires pochées épicées - du blog de pascale Weeks, blogueuse culinaire

❏ Comment, de nos jours, se transmettent les recettes des petits plats qu’on se mitonne à la maison ?
➔ Beaucoup grâce à Internet, via les quelque 5 000 blogs culinaires français. « On a un peu remplacé le cahier qu’on remplissait grâce aux copines ou à sa mère », explique Pascale Weeks, lors des Rencontres François-Rabelais, à Tours, la semaine dernière. Elle a créé cestmoiquilaifait, un blog très fréquenté.

❏ « Oui, mais avec quelle légitimité ? »
➔ ont immédiatement demandé des chefs présents à Tours, lors de ce rendez-vous intellectuel de la cuisine française. Et d’accuser les blogueuses de malmener « le savoir-faire » d’un repas désormais classé au patrimoine immatériel de l’Unesco, de prendre trop de liberté « avec un vrai tournedos Rossini » ou « une pêche melba, plat qui a tout une histoire ». Bref, de « dévoyer » des recettes, de poster en ligne des « faux savoirs ».

❏ Cette « guerre » en cuisine a pu se déclarer à cause d’un fait simple :
➔ « Il n’existe pas de marque déposée pour les recettes », rappelle Jean-Pierre Corbeau, sociologue de la consommation et de l’alimentation, de l’Université de Tours. Une sauce Béchamel selon le célèbre Auguste Escoffier, « le roi des cuisiniers » (1846-1935), peut donc être réinterprétée sans que le fantaisiste cuistot ne soit attaqué par d’éventuels ayants droit.

« Des vols de recettes »

❏ Pour leur défense, les blogueuses ont brandi l’étendard de la liberté :
➔ « S’il y a un domaine où l’on doit être libre, c’est bien la cuisine », estime Pascale Weeks. Mais elle reconnaît que certains blogs ne sont pas toujours respectueux. « Nous avons nous-mêmes affaire à des vols de recettes, reprises telles quelles sur d’autres sites. Il faut aussi connaître l’histoire culinaire et préciser qu’il ne s’agit pas de la vraie recette de Machin Chose ».

À la décharge des blogueuses, le sociologue rappelle que les recettes, même celles inventées par de grands chefs, ont toujours évolué. « Je vous assure qu’on y trouve bien moins de lipides aujourd’hui ! »

L’écrivaine et ethnologue Marie Rouannet (lire son merveilleux Mémoire du goût, Albin Michel, 2004) milite pour une préservation « de cette cuisine domestique qui se détériorait. » Anne-Laure Vincent, cofondatrice du site Marmiton, estime jouer ce rôle de « transmetteur » : « Nous avons 53 000 recettes de cuisine en ligne, visitées par onze millions de personnes par mois. »

Dominique Loiseau, restauratrice depuis le décès de son mari, le chef étoilé Bernard Loiseau, a joué les casques bleus : « Il ne faut pas opposer les recettes d’amateurs à l’excellence des chefs. Les deux se complètent, si elles sont honnêtes. L’important, c’est de donner envie de cuisiner, de bien manger. »

[via]  ouest-france.fr