Annie, 27 ans, tient une ferme à New York
Annie, l'agricultrice bobo, arrose ses légumes sur un toit de Greenpoint, un quartier Est de la mégapole américaine. En toile de fond, les gratte-ciel de Manhattan. Antoine Flandrin.
Agriculteur en ville ? C’est possible et c’est à la mode. La preuve avec Annie Novak. Enthousiaste et sans complexe, cette jeune Américaine cultive des légumes sur les toits de New York. Elle les revend ensuite aux habitants et aux restaurants du quartier. Éducatrice, mais également femme d’affaires, elle veut devenir l’antidote de Ronald McDonald.
Dimanche, 14 h. Annie Novak est au four et au moulin. Tuyau d’arrosage à la main, elle parcourt les rangées de laitues, de choux, de pois et de radis biologiques de sa ferme. Dans ses pas, une nuée d’enfants la regardent ramasser des haricots verts, tandis qu’une vingtaine de touristes fait irruption dans le verger. Tous sont émerveillés par la vue de la ligne d’horizon des gratte-ciel de Manhattan, qui se dressent sous un magnifique ciel bleu. La ferme est perchée sur le toit d’un immeuble en brique rouge de Greenpoint. Le quartier industriel du nord de Brooklyn, peuplé majoritairement d’immigrés polonais, est aujourd’hui le bastion des bobos new-yorkais.
Face aux visiteurs, Annie disserte sur les vertus de l’agriculture urbaine. Le phénomène, apparu au début des années 2000 à Détroit, San Franciso et Seattle, a conquis la Grande Pomme (New York), qui compte une trentaine de fermes bio. La jolie brindille de 27 ans, originaire de Chicago, pond avec un enthousiasme déconcertant le même discours qu’elle tient plusieurs fois par semaine devant les scolaires ou les principaux médias américains : « Ce potager a été construit sur un toit écologique. La terre absorbe de l’eau à chaque orage, ce qui garantit à la ville des économies. L’immeuble est mieux chauffé en hiver, plus frais en été. » Une dame un peu forte veut savoir si les plantations ont résisté aux chaleurs estivales record. « Elles ont tenu le coup, répond la jeune fermière. Ce sont les poulets qui ont mal supporté. L’un d’entre eux est mort de chaud. »
Annie Novak a le coffre d’un paysan du Middle West et les intonations du parlé branché de Brooklyn. Son visage juvénile cache mal son épuisement. Stressée, elle est à peu près aussi disponible qu’un politique en campagne.
15 h, elle anime un atelier diététique devant une vingtaine de parents du quartier. Vante les mérites de l’alimentation bio pour les nouveau-nés, cuisine en direct une purée de courge pour bébé. Un bol rempli de légumes circule dans les rangs. Les haricots verts sont délicieux, la purée est fade.
Appétit d’oiseauet sens des affaires
Annie Novak a un côté Alice au pays des merveilles. Elle est végétarienne, fait du yoga, protège la nature. Mais, l’ennemi a un nom, il s’appelle Ronald McDonald. « Les gens comme Annie sont les antidotes de l’industrie fast-food, assure Anna Lappé, auteur d’ouvrages à succès sur l’agriculture urbaine, qui participe à l’atelier. Elle a raison d’encourager les enfants à devenir accrocs aux brocolis et aux choux. »
La jeune fermière est devenue une activiste bio sur le tard. Ses parents ignorent tout de la chose culinaire. Elle découvre sa passion pour l’agriculture lors d’un voyage au Ghana, en observant le travail des producteurs de cacao. À son retour, elle devient coordinatrice des programmes pour enfants des Jardins botaniques de New York. Coup de chance, elle est repérée par Ben Flanner, un ponte du marketing, qui a convaincu une compagnie de production de cinéma d’investir 60 000 dollars (43 000 €) dans un toit écologique. Nommée directrice de la ferme, Annie s’entoure d’une dizaine d’apprentis et d’une cinquantaine de bénévoles. Avec eux, elle entend agrandir la communauté des jeunes Américains acquis au triptyque vert, local et citoyen.
Idéaliste, Annie Novak sait aussi se débrouiller pour vivre comme elle le souhaite : « Je voyage cinq mois par an. Je n’aime pas New York l’hiver. Il fait trop froid. » Ces dernières années, elle a visité le Togo, la Turquie, le Pérou, les îles Fidji pour enrichir sa culture agricole.
Où trouve-t-elle le temps ? De novembre à mars, les terres sont laissées au repos. Et l’argent ? L’équilibre financier de la ferme est assuré grâce à la centaine de clients hebdomadaires, dont les restaurants bio du quartier. Les amateurs de verdure peuvent faire leurs emplettes le dimanche ou cotiser 400 dollars (290 €) et se faire livrer hebdomadairement en légumes frais pendant vingt-deux semaines de l’année.
Célibataire, sans enfants, Annie Novak a des besoins minimes, un style de vie ascétique et un sens aguerri des affaires qui lui permettent de s’octroyer une bouffée d’air frais, loin du tumulte agricole new-yorkais.
[via] Antoine Flandrin, ouest-france.fr